mardi 5 avril 2016

Les Gognoles de l'info

Aujourd'hui, nous allons aborder la délicate question des Gognoles de l'info. Vous allez me dire : "Gognoles? Tu veux dire Guignols non?"
Et bien non, je veux bien dire Gognols, comme dans ce vieux sketch de Pierre Palmade... rapport au vomi de gognole.

Car à chaque fait divers, comme par exemple, au hasard, un attentat, le déroulement des événements suit invariablement le même scénario durant lequel les médias ne peuvent s'empêcher de dégueuler littéralement de l'info. Enfin de l'info... un truc prédigéré quoi.
Sur France 3, c'est "Plus belle la vie", sur BFM, c'est "Poubelle l'info".

Prenons un exemple imaginaire : des intégristes fanatiques pastafariens radicalisés décident de commettre un attentat en faisant exploser une boite de conserve sauce bolognaise king size familiale de 10L en plein milieu d'une manif contre le mariage pour tous.
Le Monstre en Spaghettis Volant (dieu des pastafariens) remet au capitaine Moÿse les tables des « trucs que j'aimerais autant que vous fassiez pas ».
  1. La police débarque à peine pour arrêter/neutraliser les méchants ou compter les boulettes de viande sur Christine Boutin, que déjà, les journalistes arrivent par cars entiers et courent dans tous les sens en faisant du rien, un peu comme des volailles.
  2. Les envoyés spéciaux présents commencent à interroger les témoins qui n'ont rien vu, et racontent du n'importe quoi que les réseaux sociaux propagent et déforment instantanément.
  3. Les politiciens contactés par la rédactions font des déclarations tonitruantes et péremptoires sur ces radicaux qui préfèrent les spaghettis à la bonne vieille choucroute garnie , et évoquent déjà une loi contre le port du chapeau de pirate.
  4. Les gens se réunissent dans différents endroits pour rendre hommage aux victimes à base de pancartes "Je suis homophobe réac'"
    "Un papa, une maman, un curé, c'est mieux pour les enfants!"
  5. On pond une nouvelle loi sécuritaire encore plus meilleure que la précédente et qui va faire que la prochaine fois, les terroristes seront bien feintés, comme les allemands avec la ligne Maginot en 39 et... euh...
  6. On attend l'attentat suivant

Mais revenons sur la la phase 1 voulez-vous? Donc, à peine le drame joué, les médias sont pris d'une sorte de frénésie incontrôlable. Les rédac' chefs ouvrent les portes des caves où leurs envoyés spéciaux sont habituellement enfermés (s'ils manquent de sang, ils peuvent devenir dangereux : se mettre à enquêter sérieusement sur les malversations des politiques, voire développer un esprit critique, des fois, en cas de sevrage trop long, il leur arrive même de lever un vrai scandale...).

A peine libérés, délivrés ♫♪ ces derniers flairent l'odeur du sang (ou de la bolognaise, ça ressemble) et tels des charognards s'approchent alors du lieu du drame autant que possible. Les rédactions des journaux lancent alors les directs, et se mettent à tourner en boucle sur les mêmes rumeurs infos et images montrant du rien.
Jawad, le logeur des terroristes pastafariens.

C'est inévitable. Et ça marche : les gens regardent, comme hypnotisés. Vous-même, vous avez d'ailleurs sûrement déjà cédé à la pulsion de zapper sur une chaîne d'info continue ou une radio d'information pour en savoir plus. Et du coup, vous avez probablement remarqué que ça suit toujours le même déroulement.


1. Je ne sais rien, mais je dirais tout
On a beau se méfier...
Le drame vient de se produire : à ce stade on ne sait rien, mais on vous dira tout, de préférence en duplex avec l'envoyé spécial sur les lieux. Enfin, sur les lieux, façon de parler puisque la zone est forcément verrouillée par les forces de l'ordre et les secours, donc en fait, l'envoyé spécial est juste dans le  quartier, voire même juste dans la ville, ou carrément juste le pays si c'est à l'autre bout du monde. Cet envoyé spécial n'ayant pas plus d'info, il se contentera d'interviewer des passants qui n'en savent pas plus mais trouvent que c'est horrible. A défaut, il peut aussi répéter le communiqué officiel déjà décortiqué par les journalistes qui sont en studio, histoire de justifier son salaire.

2. Il est temps de faire appel aux zexperts
"–Bon sang... un attentat bolognaise... j'ai l'impression d'assister au dernier repas de mes enfants!"
Quelques heures se sont déjà écoulées : on a un premier bilan et un communiqué officiel plus étoffé, les infos se sont précisées et ont déjà été répétées partout. En boucle. Mais comme on est encore en édition spéciale, info continue, il faut bien meubler : c'est là qu'interviennent les zexperts. Invités sur le plateau, ils sont là pour répondre aux questions qui nous taraudent (je vais y revenir à ces fameuses questions...). Bon, soyons honnête, le zexpert, c'est souvent un mec qui a seulement pondu un vague bouquin sur la question ("La sauce bolognaise, ma recette familiale"), ou le pote journaliste du bureau d'à côté dont le beau-frère est flic à Villetaneuse et qu'on a donc bombardé responsable du service police-justice à la rédac' parce qu'il fallait bien que quelqu'un s'y colle. Et là, forcément, le journaliste va balancer toutes les questions qui lui viennent. Surtout Même les plus connes. Du coup, le zexpert en question va pouvoir se lâcher copieusement en balançant tout ce qui lui passe par la tête et qui lui semble pas trop con à dire (on notera cependant que d'un individu à l'autre, cette notion peut prendre un sens très différent).

Quelques exemples (authentiques) de questions que les journalistes ont posé aux zexperts après les attentats de Paris et Bruxelles (comme je ne me souviens plus des réponses, je me suis improvisé zexpert pour répondre) :

►Question Du Journaliste : Cet attentat était-il prévisible?
◄Réponse Du Zexpert : Oui, il était sur le programme de la tournée "Âge bête et tête de con"... mais bon, des fois il y a des dates annulées ou reportées. A ton avis ducon? Tu crois que les flics auraient laissé faire s'ils avaient reçu une invit'?

QDJ : A ce stade, sait-on quel est le profil des terroristes?
RDZ : Rhaaa, c'est pas facile comme question... j'hésite entre "riche retraité désœuvré" et "p'tit con radicalisé en mal de reconnaissance"...

QDJ : On parle parfois d' "entreprise terroriste"... DAESH le pastafarisme fonctionne vraiment comme une entreprise?
RDZ : Bien sur. Leur modèle, c'est la COGEP à Charleville Mézière. Surtout depuis que Jacqueline, aux expéditions, s'est tapé Jean-Claude de la compta à la soirée Cohésion d'équipe organisée par le nouveau manager Philippe, et que du coup, son mari, Vincent du Marketing l'a lapidée à coups de figue molle.
DAESH, COGEP, même combat.
QDJ : A votre avis, il faut s'attendre à de nouveaux attentats dans un avenir proche?
RDZ : Attendez, j'interroge ma boule de cristal... ah merde, erreur 404. Vous auriez du marc de café?

QDJ : Quelles mesures faudrait-il prendre pour empêcher ces terroristes d'agir?
RDZ : Ah ça, c'est fastoche, il suffirait d'une mesure très simple. Primo : obliger les gens à se ballader à poil, ou à la rigueur avec des vêtements totalement transparents. Du coup, impossible de planquer une arme ou une ceinture d'explosif. Et si on double cette mesure simple d'une autre mesure simple, on peut même faire un triplé gagnant en relançant l'économie et en réduisant notre bilan carbone en même temps. Pour cela, il suffit de faire passer une loi qui oblige les FAI à corriger automatiquement certains mots vulgaires et explicites directement dans les pages lues et les mails reçus. Ainsi, suite à la loi "Tous à poil pour votre sécurité" on peut s'attendre à une vague de mails concernant l'élargissement des **péniches**, ce qui relancera le commerce de la péniche, le développement et l'entretien des voies navigables (création d'emploi dans ce secteur) et encouragera le trafic fluvial, plus écologique. Tout bénéf' !

On le voit, il y a du niveau.


3. On fait appel aux champions
Des champions je vous dis...
On en est déjà à plus de 24h : on commence à avoir un peu de recul, et on a déjà entendu tous les zexperts. Plusieurs fois. Du coup pour varier on commence à inviter les politiciens de tout bord pour qu'ils puissent générer du contenu, du buzz comme on dit. Ça c'est plutôt facile, vu qu'ils partent vite en roue libre. On privilégie certains champions, dont on est à peu près sûr qu'ils sortiront la p'tite phrase qui cassera internet, comme par exemple la poissonnière de Rungis Nadine Morano, Chris de Nice Christian Estrosi ou maître Connard Collard.


4. Dans le doute, invite un people
Ça peut même faire doublon avec zexpert en obus...
Plusieurs jours ont passé : on a fait le tour de tous les politiciens disponibles, même Arlette Laguiller (qui a été invoquée brièvement grâce à un rituel indicible et non euclidien impliquant le sacrifice de 5 membres du MEDEF). En plus ça commence à se voir qu'on raconte n'importe quoi : les gens commencent à zapper. Il est temps d'inviter des peoples sur le plateau (venus faire leur promo habituelle), on en profite pour les questionner sur le drame, des fois qu'il en sorte un trait de génie ou une bonne grosse connerie qui fasse le zapping. Autre intérêt : si le drame s'est produit à l'étranger on va pouvoir inviter un people de la nationalité concernée. Par exemple, après les attentats de Bruxelles, on a vu en boucle Philippe Geluck, François Damiens, Axelle Red et quelques autres. Je pense qu'ils étaient à deux doigts de sortir Plastic Bertrand de la naphtaline... voire Brel du cercueil.


5. La fête se termine, tout le monde est fin cuit, c'est l'heure de la partouze du medley
C'est marrant, je pourrais prononcer cette phrase plusieurs fois par jour...

Plus personne ne s'intéresse à ce fait divers, le suivant prend déjà la place. Il est temps de faire un bilan en confrontant les points de vue : on va donc finalement réunir sur un même plateau télé des zexperts en expertise sur la question, des politiciens en roue libre et des peoples en promo histoire d'en finir dans un joyeux bordel qui fera une bonne audience. En pratique on vient d'atteindre le degré zéro du journalisme et de l'information tant tout ce petit monde va s'escrimer à raconter du n'importe quoi de compétition, et s'improviser porte-parole des victimes. Les victimes mortes j'entends, pas celles qui peuvent contester.

Bin moi je sais pas trop pour vous, mais perso je trouve que journaliste, ça m'envoyait plus du rêve quand j'étais gnome...

4 commentaires:

  1. Bah voilà! Completement d'accord avec ça.
    Et franchement même le Panama Pampers ; les personnes riches et puissantes trichent avec l'argent? "Oh mon dieu c'est-pas-vrai-je-suis-choqué!" Prochain scoop : l'eau ça mouille.
    Tiens d'ailleurs je suis un expert des panama pampers, j'ai lu tout les Largo Winch et les IRS.

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    1. Je me faisais la même réflexion. Bon, c'est vrai que c'est toujours plus sympa de voir des journalistes sortir un scandale comme celui-là, qui donne l'impression qu'ils font vraiment de l'investigation, mais objectivement, ça ne casse pas trois pattes à un canard quand même.

      Et pour l'expertise, c'est ça qui est chouette : tout le monde peut s'improviser zexpert comme ça pif-pouf à la débottée :D

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  2. En Albanie il y a déjà les journalistes-à-obus : Enki Bracaj, puis Greta Hoxha (j'ai pas suivi s'il y en a d'autres)

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    1. Ils sont forts ces albanais quand même : ils ont déjà tout compris. Je te fiche mon billet que BFM va recruter sur les mêmes critères avant longtemps ;)

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