vendredi 3 juin 2016

Deux nuances d'aigris

Cinquante Deux Nuances d'Aigris

–Mais pourquoi-euh?
–Rhaaaaah! Tu me gonfle! Parce que!!!! Épicétou!

Épicétou!
Ceux d'entre toi qui me lis et qui a des gnomes, ce dialogue, tu l'as sûrement déjà vécu. Le gnome veut un truc, toi pas trop, mais t'es prêt à négocier un minimum. Et pis là, le gnome il insiste. Lourdement. Du coup, toi aussi tu te mets à faire ta tête de con de vieil(le) aigri(e), et tu verrouilles la négociation par cet argument massue, péremptoire et définitif : "parce que!", sorte de 49.3 du cercle familial qui n'appelle aucune forme de contestation.

Pourtant, il existe un moyen plus simple d'obtenir ce que l'on veut : en éducation positive, on te conseille de mener le gnome réticent où tu veux en lui offrant juste deux choix possibles (orientés évidemment). Pas plus, pas moins. Il parait que plus : ils gèrent pas.
Ne nous mentons pas, c'est une forme de manipulation.
Et cette méthode de filou, elle ne marche pas qu'avec les gnomes...

Pourtant, la vie est faite de nuances : tout n'est pas blanc ou noir. On ne cesse de nous le répéter tout au long de notre vie, et c'est d'ailleurs une leçon qu'on met du temps à apprendre. Petit, on est généralement manichéen, voire binaire. Pas de demi-mesure : on est triste ou joyeux, on se tait ou on crie, ♫ on s'amuse on pleure on rit, y a les méchants et les gentils...  ♪ et... euh... hum, pardon.

Bref. C'est avec l'âge, logiquement qu'on apprend à nuancer les choses : c'est la sagesse qui s'installe. Enfin ça, les cheveux gris, les varices et les rhumatismes... oui, la vieillesse est un naufrage. Le naufrage d'un navire rouillé qui ne tient plus que grâce à la peinture médecine, et qui transporte des milliers de réfugiés souvenirs et de connaissances qui seront bientôt irrémédiablement perdues. Sauf quand c'est déjà fait grâce à Alzheimer. Too bad...

Mais la société nous pousse à devenir de plus en plus binaires.
"–Euh... et les huit autres?
–Ok : toi,seconde catégorie donc..."

Encouragée en cela par une flemme intellectuelle de la taille du grand canyon les grands médias populaires, notre civilisation moderne a une fâcheuse tendance à virer bipolaire. Ce qui est tout de même mieux que les ours blancs donc, qui sont juste polaires eux (© maman Koala).

Prenons un exemple au hasard: les élections présidentielles. Aux Etats Unis, le bipartisme est déjà la règle. Les américains auront prochainement l'occasion de départager un yorkshire (teigneux) à moumoute et Ségolène Royal Clinton.
Un duel qui envoi du rêve... on regrette presque de ne pas être américain didon. Presque.

Chez nous par contre il y a pléthore de partis et de candidats putatifs, on pourrait donc se dire que ça couvre un large spectre de nuances idéologiques... Erreur : dans les médias, les sondages, etc, on ne parle que de duels... oblitérant ainsi complètement le débat pluraliste du premier tour.

D'façon, visiblement on s'en fout du premier tour, il sert juste à départager les candidats playmobiles sans réelle chance de l'emporter, tels que François Hollande, Nicolas Sarkozy, ou les baudruches remplies d'air que sont Macron, Valls, Copé ou Fillon, et les autres. Ce qui compte pour faire de l'audience, c'est l'affrontement final! Alors, oui, bon, je sais que vu la côte de popularité du président sortant qui mériterait d'être traitée sous l'angle de la physique quantique (car :
  1. cette branche de la physique s'occupe de l'infiniment petit
  2. si jamais il était réélu –en arrivant premier à un concours de circonstances– on pourra parler d'effet tunnel, ou du chat mort-vivant de Schrödinger...
fin de la parenthèse), beaucoup considèrent comme probable un second tour opposant Nicolas et ML...
Un duel qui promet d'être mémorable...
Pour autant, si je peux comprendre que l'affrontement entre Nicolas Dupont-Aignan et ML passionne les médias (l'influence des idées de Mélanie Laurent  sont d'ailleurs visibles depuis le succès de "Demain" est là pour le prouver...) Il est évident qu'il va falloir s'attendre à des surprises : le troisième homme, Jacques Cheminade, pourrait créer la surprise!

Notez qu'en général les deux candidats qualifiés au second tour n'ont obtenu au premier que 15 à 20% des suffrages. Mais le système étant ainsi fait, il contraint les électeurs à départager ces deux finalistes, et donc à se rallier, par défaut, à l'un des deux programmes (choix binaire) encore en course. Vous dites? C'est un programme de compromis pour ratisser le plus large possible? Admettons. Compromis chose due, puisque les promesses des candidats n'engagent de toutes façons que ceux qui y croient, et que le vainqueur se dépêchera d'appliquer des mesures n'ayant pas grand chose à voir avec ce programme (de toute façon inapplicable généralement).

Le vainqueur pourra ainsi se prévaloir d'une "majorité" correspondant grosso modo à un peu plus de moitié des votants (ce qui restreint déjà le panel), dont une partie a voté pour lui faute de mieux., voire pour faire barrage à son adversaire qu'ils ne pouvaient pas saquer. On saisit donc immédiatement l'enthousiasme populaire qu'il a soulevé, et les scènes de liesse filmées en plan rapproché qui suivent généralement sa victoire.
Une bien belle scène de liesse populaire. Vu les parapluies, ça doit être pour une victoire de Hollande.

La "minorité" se retrouvant quant à elle quelque peu aigrie par cette défaite d'autant plus vexante qu'elle concernait déjà un choix par défaut. Après ça, tu m'étonnes que ce pays soit ingouvernable...

–D'accord, mais supposons que l'élection se fasse en un seul tour... ça ne change rien : le vainqueur l'emportera avec seulement 20% des voix en gros... c'est pas tellement majoritaire.

Je n'ai jamais dit que ce système serait meilleur : le principe même de voter pour quelqu'un (censé donc incarner nos espoirs) est complètement con. D'autant que le quelqu'un fait en général tout le contraire de ce qu'il avait promis (en se prévalant de la majorité des électeurs comme vu plus haut). Il faudrait plutôt voter, à la carte, pour un programme à appliquer, et conditionné à des résultats à obtenir. Mais pfiou, ouhlala, ça, ça impliquerait tellement de subtilité que si ça se trouve, les politiciens professionnels ne pourraient plus être réélus et taper dans la caisse ça serait trop compliqué pour les gens. Mieux vaut rester binaire.

De façon générale, et ce dans tous les domaines, le nombre d'alternatives proposées sera toujours restreint car le meilleur moyen de nous rendre cons, c'est de nous traiter comme tel ça permet d'orienter notre choix en biaisant tout raisonnement. On fait appel au cerveau limbique plus qu'au néocortex quoi...  Généralement, plus le choix est binaire, et plus l'adhésion à ce choix tient du dogmatisme : les idées proposées ne sont pas étayées, mais juste martelées, guidées par l'émotion... ou la foi. En religion comme dans d'autres domaines comme l'économie ou la politique.

Et puis... selon le vieil adage qui dit que "les ennemis de mes ennemis sont mes amis", il est plus facile de rassembler contre l'autre camp, surtout s'il n'y en a qu'un, qu'avec son camp. Ce qui arrange tout autant l'autre camp bien sûr, selon le même principe : "Ceux qui ne sont pas avec nous, sont contre nous!". Les non-alignés sont priés de la mettre en veilleuse, merci, topette.

Prenez le modèle économique : si le libéralisme prend l'ascendant depuis de nombreuses années, c'est tout simplement parce qu'on nous a martelé/répété que TINA (There Is No Alternative), étant implicitement entendu que la seule alternative évoquée est le "communisme" sous sa forme d'épouvantail en fait plus proche du fascisme de l'ex-URSS ou de la Chine. Inutile d'évoquer d'autres possibilités, ça risquerait de donner des idées au gens. Chuuut! Notons que pour les partisans de chacun de ces modèles, l'autre représente le mal absolu. Ce qui fit dire à Henri Jeanson : "Le capitalisme, c'est l'exploitation de l'homme par l'homme. Le communisme? C'est le contraire."
La différence saute pourtant aux yeux non?

L'idée c'est de fédérer autour de son dogme, y compris des gens qui ne le ferait pas de base, en leur opposant une seule autre alternative qu'ils ne peuvent que détester. On ne débat pas : on assène. On ne discute pas : on vocifère. On n'argumente pas : on affirme. C'est bien connu : le meilleur moyen de convaincre autrui, c'est de dire que c'est comme ça et pas autrement.
"–C'est comme ça, et pas autrement!"


Et plus c'est caricatural, plus ça passe. Et puis, c'est plus simple pour les reportages de BFM ou "Tire mon doigt" "C'est mon choix". Juste deux camps, ça facilite les choses :
  • pour ou contre l'accueil des migrants. Les frontières sont une sorte de porte logique n'ayant que deux positions : ouvert/fermé.
  • carburant contre loi travail.
  • pour ou contre la police. Non non, pas de nuance : tous les flics sont des héros ou des méchants.
  • Manuel Valls contre Emmanuel Macron
  • végétalien ou carnivore. Je... non, inutile d'alimenter le débat : ce seul libellé est un appeau à troll.
  • anti OGM ou pro OGM
  • anti-nucléaire ou pro-nucléaire
  • anti-vaccin ou pro-vaccin
  • anti-gaz de schiste ou pro-gaz de schiste
  • team Edward ou team Jacob
  • jedi ou sith
  • fromage ou dessert
  • droite ou gauche
  • pile ou face
  • oui ou non
  • sein ou biberon
  • vaginale ou clitoridienne
  • ...
Et j'en passe. Toujours deux camps. Pas d'avis intermédiaire. Choisis ton camp camarade, et après, va trucider l'ennemi qui ne pense pas comme toi. Débattre? Argumenter? Nuancer son opinion? Faire des compromis? Pffff, à quoi bon? De toute façon les autres ont tord puisque tu as raison!

Le principal problème de cette méthode, c'est qu'elle pousse les gens à se radicaliser dans chacun des deux camps en présence (on oublie les autres alternatives je vous dis!), et amène aux pires outrances. A ce compte là, pas étonnant que les idées extrémistes se renforcent dans toute l'Europe, voire le monde...

Et bien je vais vous dire, moi, les opinions binaires ça m'emmerde. Mais d'une force... Car :

  • des fois, en discutant avec les gens, je change d'avis
  • je rentre mal dans les cases (j'ai pas une forme adaptée)
    Vive l'anticonformisme. Fuck yeah!
  • c'est une forme de paresse intellectuelle
  • ce sont ceux qui pensent différemment qui font avancer les choses
  • je ne suis pas un fucking ordinateur!

–Bon d'accord, mais alors que réponds-tu quand on te demande de répondre juste par oui ou non?
–Ça dépend.
–Ça dépasse...
–... l'entendement de certains, oui, apparemment.

2 commentaires:

  1. Hmmm... Dire que la France et le monde occidental est libéral, c'est tiré par les cheveux. Le libéralisme est protéiforme (je passe les détails), mais tous les libéraux (ceux qui lisent Bastiat, Hayek...) veulent limiter le pouvoir du souverain et de l’État pour favoriser la liberté individuelle. Partant de cela, aucun parti politique français (important médiatiquement, hein) ne peut être considéré comme libéral... La France, avec son État qui dépense 56 ou 57% de son PIB ne peut être considérée comme libérale (à ce niveau, dans les pays "réellement" libéraux, l'Etat dépense entre 15 et 25% du PIB...). Du coup, dans nos pays occidentaux mais spécialement en France, on est dans un système ni communiste, ni libéral... C'est un "système" bâtard, assez socialiste, mâtiné de beaucoup de capitalisme d’État et de dirigisme (beaucoup de réglementation) mais aussi de capitalisme de connivence (c'est à dire que de grandes entreprises privées sont proches de l’État, notamment grâce à leurs patrons et en abusent pour obtenir des avantages : marchés publics, subventions, réglementations favorables... Non, ce n'est pas du libéralisme, ni du capitalisme, sauf pour Mélenchon !). Bref, nous ne sommes pas dans un pays libéral...

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    1. Je n'ai pas dit que le monde occidental était libéral, juste que le libéralisme prenait l'ascendant et se posait comme le seul modèle envisageable... c'est légèrement différent ;)

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