mardi 19 novembre 2013

Culture fast-food

Petit intermède avant l'épisode III sur Noël. Un intermède inspiré par l'actualité, ou plutôt la façon dont elle est traitée. Je précise que je ne m'intéresse à l'actualité que de façon assez distante. Je n'ai pas la télé, et je ne lis pas la presse papier. Mes sources d'informations sont donc :
  1. Internet (je visite régulièrement quelques sites d'information comme Rue 89, et 20 minutes)
  2. La radio (en voiture, j'écoute la radio)
Ça n'est pas la première fois que je le constate, mais je trouve qu'on en a encore eu un bel exemple avec la traque du tireur parisien de ces derniers jours : tous les media se mobilisent, enchainent les articles/reportages/unes/interview d'"expert" jusqu'au point de saturation pour nous livrer une information à chaud contenant précisément... du rien! Si si, regardez bien! Comptez les articles, brèves, et reportages télé toutes les 20 minutes pour nous dire quoi? Juste répéter les mêmes informations : un gars armé, vêtu de telle façon, qui a tiré a tel endroit, et dont on a perdu la trace. Ah si, et bien sur enchaîner toutes les hypothèses –invérifiables en l'état puisqu'on ne sait rien de plus– sur ses motivations, ses liens supposés avec le grand banditisme/le terrorisme/la crise/le front de libération des escargots de bourgogne... Tient, une hypothèse de mon cru : ce gars avait lu son horoscope dans Libé qui lui disait que sur le plan financier tout allait bien, juste avant de recevoir un mise en demeure de son banquier. Paf, il pète les câbles et va flinguer l'auteur de l'horoscope avant d'essayer de se farcir son banquier.
Et je passe sur les cris d'orfraie quant au fait que ce cinglé s'est attaqué à la presse (ça crie moins quand à son attaque de la banque d'ailleurs) : tant qu'à faire, on défend sa chapelle hein.
Non truqué : trois articles sur le sujet rien qu'en Une...

Je ne dis pas que le fait divers ne mérite pas d'être mentionné, mais ce matraquage –sachant qu'on ne sait quasiment rien à l'heure ou j'écris ces lignes– était-il vraiment indispensable? Dans mon souvenir, on avait eu droit à la même effervescence insignifiante lors de l'affaire Merah à Toulouse (avec un quasi-direct TV lors de la prise d'assaut foireuse du GIGN). Les (maigres) infos dont dispose la presse sont balancées précipitamment, souvent sans vérification, parfois au mépris de la présomption d'innocence, et délayées/rabâchées jusqu'à leur totale perte de saveur en l'absence de nouvelles infos à donner. Il parait que c'est ce qu'attend le public. Il parait.

Et bien ça, pour moi, c'est la culture fast-food. Je parle là de la presse, mais c'est valable à tous les niveaux de la société, de plus en plus : on en veut toujours plus, tout de suite, ça doit contenir du sel, et il faut que ça se digère vite. Reprenons notre exemple de la presse :
  • infos quasi simultanées avec les évènements
  • multiplication des flash/interview/analyse/infographies/photos/articles repassant en boucle les mêmes infos
  • un peu de dramatisation pour le sel ("le tueur peut être n'importe", "et si ça s'était passé sur votre lieu de travail", "la victime dans le coma", etc...)
  • une analyse simpliste et consensuelle du peu que l'on sait (histoire que le spectateur/lecteur/auditeur lambda pense avoir une information nouvelle et de qualité, et accessoirement, ça libère du temps de cerveau, il n'a pas besoin de réfléchir par lui-même).
Naturellement, ça n'est pas propre à la presse. Ce phénomène s'étend à tous les aspects de notre vie quotidienne : c'est un problème de société.
►Rencontres amoureuses fast-food ? Pas de problème, le speed dating est fait pour vous. Si vous êtes branchés internet/smartphone, les sites de rencontres ne manquent pas (Meetic, Adopteunmec, etc...).
L'histoire ne dit pas si Raphaël fait ça comme un lapin...
►Et après, rupture fast food? Pas de soucis : on largue pas SMS.
►Repas fast food? Sandwicheries, fast foof eux-mêmes, distributeurs divers et variés... Sans parler des kits de cuisine permettant de faire "soi-même" des repas "élaborés". Qui n'a jamais utilisé un kit de cuisine mexicaine (vendu fort cher du reste) par exemple? Et pourtant, faire des galettes de blé est d'une simplicité enfantine, et les sauces elles-même n'ont rien de compliqué à réaliser. Le reste n'est de toutes façons pas fourni... Bon, ok, il faut y passer un peu de temps. Je vous filerai ma recette à l'occasion.
►Politique fast food? Mais on ne trouve quasiment que cela! Combien de personnages politiques ont encore une réelle vision à long terme? Combien ne cherchent pas narcissiquement à montrer leur tronche à la télé au moindre fait divers? Combien pour faire une analyse posée, et non bêtement idéologique, des problèmes et des solutions possibles?
Pff... tout ça me semble bien indigeste...

►Célébrité fast food? Y a qu'à demander : Secret Story, la Nouvelle Star, etc... Ah bah oui, c'est du fast food hein! C'est donc formaté (filles écervelé à grosse poitrine/minet inculte à gros biscotos) et indigeste.
–Pour parler à mon neurone, tapez 1 suivi de #
–1 #
–Le numéro que vous avez demandé n'est pas attribué
►Job fast food ? Si vous n'êtes pas trop regardant sur la nature de l'emploi, l'intérim est fait pour vous.
►Travail fast food? Qui n'a jamais pesté contre des délais serrés qu'on lui impose, ou des clients qui exigent un réponse immédiate à leur demande?
►Enseignement fast food ? Cours à la carte proposés par de nombreuses sociétés (fort lucratives du reste) de soutien scolaire. Bachotage inepte, bourrage de crâne, réflexion allégée... Les résultats sont peut être là, mais est-ce efficace pour autant? Ne vous inquiétez pas, l'école de la république s'y met peu à peu : pour que le maximum d'élèves aient le bac, il est plus simple de revoir les exigences à la baisse que d'essayer d'améliorer les contenus et de prendre le temps nécessaire pour ça rentre.
►Formation professionnelle fast food? Si vous avez déjà suivi des formations de ce type (en interne dans votre entreprise, ou dans le cadre d'une recherche d'emploi), il y a de fortes chances que vous soyez tombé sur une formation dite "Power Point™". La plupart du temps, le formateur a le charisme d'un rutabaga et se contente de lire des slides indigestes qu'il fait défiler bien trop vite avant de proposer un pause café d'une demi-heure. En général, à la fin vous n'avez rien retenu d'utile de toute façon.
►Tourisme fast food? Vendez un rein et optez pour une croisière all inclusive. Avec un troupeau d'allemands en short, vous pourrez visiter plusieurs villes/pays au pas de course selon des parcours balisés avant de claquer votre fric dans les boutiques à touriste. N'espérez pas découvrir vraiment la culture locale, on est dans du fast food encore une fois. Et profitez bien de la piscine de l’hôtel/du bateau de croisière, c'est pas comme si vous aviez la mer à deux pas.
►Faire des enfants fast food? Aller, vite : PMA pour gagner du temps. Et après l'accouchement programmé, hop hop : à trois mois, chez la nounou/en crêche, à un an il faut qu'il marche et qu'il soit propre sinon c'est qu'il y a un problème, à trois ans pétantes zou à l'école et qu'il apprenne vite à compter/écrire, etc, etc... Et après on s'étonne qu'ils soient ado de plus en plus tôt, et que les filles se fassent engrosser à 12-13 ans avant de se suicider à 14...

J'arrête là, mais ça ne sont pas les exemples qui manquent. Vous-mêmes, demandez-vous un peu depuis combien de temps vous n'avez pas pris le temps...

Et si vous preniez le temps de ralentir le pas, de regarder le paysage autour de vous? C'est l'automne... avez-vous vu combien certains arbres se parent de couleurs magnifiques? Est-il si urgent que vous arriviez là où vous vous rendez?

Et si vous preniez le temps de manger, sans vous presser, en savourant chaque bouchée, chaque aliment? Prendre plaisir à vous nourrir ne vous fera pas tord...

Et si vous preniez le temps de sourire? Juste comme ça, parce que finalement, la vie n'est pas si mal. Faire une tête de dépressif ne vous apportera rien.

Et si vous preniez le temps de parler à ce SDF qui fait la manche tous les jours à ce coin de rue, et que tout le monde prend bien garde à ignorer? Vous n'avez peut être pas de pièce à lui donner, mais un sourire et un peu de chaleur humaine ça ne coûte pas grand chose.

Et si vous preniez le temps d'aider ce voisin un peu balourd, qui semble galérer avec ses sacs de courses/ses papiers administratifs? L'entraide n'a jamais tué personne...

Et si vous preniez le temps de regarder votre compagne/compagnon (de la/le regarder vraiment, pas juste de la/le voir) ? De détailler tranquillement son visage, sa silhouette... de constater –peut être– que de petites rides ou des cheveux gris commencent à se dessiner, mais ça ne change rien à l'amour qu'elle/il vous inspire, au contraire.

Et si vous preniez le temps de lui dire "Je t'aime!"? Pas le "Je t'aime" qu'on balance comme ça, par convenance ou habitude, comme on dirait bonjour ou bonsoir. Non, le "Je t'aime!" chargé de toute l'émotion porté par vos souvenirs communs et votre amour mutuel... un truc qui vient des tripes!

Et si vous preniez le temps de regarder en souriant vos enfants jouer, rire, se raconter des histoires? De les voir se salir bêtement sans les disputer? De juste jouer avec eux, sans vous dire que vous avez mieux à faire?

Et si vous preniez le temps de parler/écrire aux gens que vous appréciez? De leur parler vraiment et pas juste de la pluie et du beau temps.

Et si vous preniez le temps de faire quelque chose dont vous aviez envie? Sans vous prendre la tête sur ce que vous aviez à faire.

Et si vous preniez le temps de lâcher prise?

Et si vous preniez le temps de... vivre? Tout simplement...

Pourquoi tout devrait-il toujours aller plus vite? Notre monde et notre civilisations sont en train de crever de cette obsession de la vitesse : nous utilisons nos ressources à une fois et demi la vitesse nécessaire pour qu'elles se renouvellent! Et ce ratio augmente!
J'ai mis un citron, mais si vous préférez une orange, c'est pareil...


La culture fast food a envahi nos vies jusqu'à l'indigestion! On dit que l'on est ce qu'on mange (et je pense que l'on peut parler aussi bien de la nourriture physique que spirituelle ou intellectuelle)... vous voulez vraiment devenir... ça :
Et mon cul popotin, c'est du poulet?
Je me rend compte que cette bafouille, qui devait être brève, s'est transformé en une vraie tribune. Manquerait plus qu'on en fasse un pps avec des chatons, des paysages d'automne, et une musique d'ascenseur et ça serait le pompon...

Alors je vais conclure en vous disant : la prochaine fois que vous vous sentez pressé, que vous n'avez pas le temps (ou pas envie de le prendre) pour faire quelque chose, demandez-vous si votre vie sera réellement meilleure en ne prenant pas votre temps. Prenez le temps de regarder autour de vous, calmement, en silence, et de réfléchir. La procrastination peut être une maladie, mais parfois c'est un remède.

A vouloir vivre trop vite, on finit par mourir trop vite.

8 commentaires:

  1. Suis tout à fait d'accord avec toi et perso, j'essaie de profiter du moment le plus possible et d'être vraiment entière quoique je fasse Je n'ai jamais été trop culture fast-food de toute façon (d'ailleurs, je n'aime pas le fast food) mais à savoir qu'on est (très/trop) peu à prendre conscience de cela et du coup, ben, on se sent un peu seul!
    Ah bah par contre, j'ai quand même rencontré mon homme via internet (mais pour moi, c'est juste un moyen de communication comme un autre) ;-)

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    1. Je suis contraint d'admettre que je n'applique pas toujours ces beaux principes. Je suis parfois obligé de "me corriger". On est vite emportés par le flot qui nous entoure, et les mauvaises habitudes ont la vie dure. Je pense que le fait d'avoir des enfants, de les regarder grandir (trop vite) est un facteur faisant prendre conscience de cela...

      Pour les rencontres sur internet, je n'y vois pas d'inconvénient en soi : c'est un média (on devrait dire medium d'ailleurs) comme un autre pour trouver un(e) partenaire. Je suis plus perplexe sur le credo affiché de certains sites, dont on sent clairement qu'ils sont là pour faciliter un "plan cul rapide" que pour générer des vraies rencontres sérieuses (même si ça doit arriver quand même je suppose). De façon plus générale, et je ne l'ai pas développé dans ma bafouille que je trouvais assez longue, je n'ai rien contre internet, qui n'est jamais qu'un outils. Il peut participer à cette civilisation fast food, ou au contraire permettre de s'en extraire en favorisant l'auto-apprentissage et le DIY (Do It Yourself). Comme n'importe quel outil, il n'est pas critiquable en soi, même si certains semblent penser qu'internet mange les enfants, ce qui est critiquable éventuellement c'est l'usage qu'on en fait...

      Je pense qu'en prenant de l'âge je deviens de plus en plus misanthrope et critique à l'égard de notre société de consommation qui privilégie plus l'Avoir que l'Etre. Si ça continue, je vais finir pas m'exiler dans le Larzac pour aller y élever des chèvres et des moutons...

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  2. Tout d'abord, cet article est un de mes préférés de toi depuis que je suis ton blog :-)
    Ensuite, je te remercie pour le lien que tu as fait vers mon article, ça me touche beaucoup.
    Et enfin, je voulais te dire que je suis d'accord avec toi :-) Je suis arrivée en France j'avais 16 ans, et la vie façon fast food a été très dure à apprivoiser. Mais même si je suis clairvoyante, même si je la critique, parfois je la consomme aussi cette vie fast food... En revanche, je remercie mon côté 3ème culture, puisque justement, je sais comment m'échapper de tout ça, et vivre ici sans toujours le subir!

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    1. Merci beaucoup!
      Figures-toi que cette "bafouille", jetée ici comme une bouteille à la mer, me tient à cœur aussi. Je l'ai écrite d'une traite, sous l'effet d'une sorte de raz-le-bol : c'était un cri du cœur.
      Je te félicite de savoir t'extraire de ce monde de cinglés, même si ça n'est que par moments. Pour ma part, sans doute trop "conditionné", je dois encore lutter... Mais déjà, j'en ai conscience, c'est un premier pas.

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  3. Envie de faire quelque chose dont j'ai envie ?
    Vais aller me faire une tasse de thé, tiens...
    Voilà une idée qu'elle est bonne !
    Vais même peut-être y ajouter des chatons et en faire un pps !
    ;-)

    Belle après-midi !

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    1. Un pps de chatons noyés dans le thé? Ma foi... pourquoi pas. Même si je reste d'avis que la taxidermie ou l'exorcisme restent préférables pour ces créatures diaboliques...

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  4. Commentaire bien tardif d'un papa porc-épic (ou oursin ou ce que tu veux qui a tendance à être peu commode), et qui ne sera pas lu par d'autres qu'un hérisson : tu m'as fait avoir des larmes aux yeux espèce de... heu... ? Non je ne trouve pas le mot. Bref, quoi qu'il en soit, je viens de découvrir ton blog que je parcours depuis hier, et franchement félicitations, tu sais mélanger de fines analyses à un humour décapant.

    Et oui, la parentalité (paternité dans notre cas), c'est ce qui m'a (entre)ouvert les yeux, c'est certain.

    A bientôt dans le Larzac, j'y songe aussi depuis la naissance de ma puce il y a trois ans...

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    1. Qu'importe qu'il soit "tardif" puisque j’exhorte justement à prendre son temps ;)

      Bienvenue à toi confrère-qui-pique :)

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