vendredi 10 janvier 2014

–Pourquoi j'ai pas le droit? –Parce que!

Qui n'a jamais été tenté, face aux questions insistantes d'un enfant un peu têtu, de se contenter de répondre un tonitruant et définitif "PARCE QUE!!!" en guise de toute argumentation? Et bien, je ne sais pas si vous avez remarqué, mais ça marche assez rarement. J'avais déjà eu l'occasion d'aborder la question de l'interdit, mais je vais y revenir ici sous un autre angle.
Evidemment, vu sous cet angle...

Une fois n'est pas coutume, je vais donc vous raconter une petite histoire.

C'est l'histoire d'un homme. Un homme à la peau noire, instruit, intelligent, mais qui a un certain... "problème" avec le communautarisme. Cet homme a donc choisi de se révolter contre un système qu'il réprouve. Ses paroles et ses actes lui valent l'inimitié, voire le mépris d'une assez large part de la classe politique et de l'intelligentsia de son pays. Mais cet homme, qui aurait pu s'en tenir là et reprendre ses activités normales, décide d'aller plus loin : il s'acoquine avec d'autres individus considérés comme peu fréquentables, et mène des réunions publiques dans lesquelles il critique vertement le système. Il popularise même un geste du bras, qui sera repris par nombre de ceux qui l'écoutent et le suivent. Le gouvernement de son pays promulgue alors un décret lui interdisant toute réunion publique, pour motif de trouble à l'ordre public.




Petit vote ?
►a . Vous cautionnez la décision de ce gouvernement
►b . Si cet homme viole réellement la loi, ça vous semble normal qu'il soit puni
►c . Vous désapprouvez
►d . Obiwan Kenobi Bien


























A présent sachez que si vous avez voté a ou b, vous venez d'apporter votre caution au gouvernement afrikaner en Afrique du Sud dans les années 50, et approuvé la mise en résidence surveillée de Nelson Mandela.
"C'est bon, j'ai attrapé la queue du Mickey! On a un tour gratuit les mecs!"

Ça c'est fait.

Une autre histoire? Allez zou, c'est parti mon kiki.

Encore un homme. Plûtot un artiste celui-ci. C'est un brillant orateur, qui sait captiver son auditoire. Lui aussi organise des réunions publiques, et devient vite le héraut d'une frange contestable de la population de son pays. Lui aussi popularise un geste du bras qui devient vite le signe de ralliement de ceux qui le soutiennent, lui et ses idées. Tient!? Lui aussi les autorités décident de le museler pour trouble à l'ordre public.





On vote à nouveau?
►a . Vous désapprouvez
►b . C'est bon, vous vous êtes fait avoir une fois : vous soutenez à fond ce pauvre type censuré!
►c . Si cet homme viole réellement la loi, ça vous semble normal qu'il soit puni
►d . Le docteur Rotule
































Bien.

Si vous avez voté a ou b, vous venez de fustiger les autorités allemandes de 1922 qui ont condamné et emprisonné Adolf Hitler.
C'est marrant, j'ai toujours cru qu'il était incapable d'exécuter un salut nazi correct...

Ces deux individus ont eu des parcours parfois similaires, des idées diamétralement opposées, ont tout deux subi la censure des pouvoirs publics, et leurs idées ont néanmoins prospéré. Vous vous doutez que je parle de ça en rapport avec l'actualité récente. Je vous rassure, je n'irai pas plus loin dans le parallèle et la comparaison, puisque tel n'est pas mon but.
Je ne porterai pas non plus de jugement sur cet autre homme qui est au centre de la tourmente médiatique actuelle, car je ne pourrais pour ce faire me fonder que sur les idées et intentions qu'on lui prête. Or je ne le connais ni lui, ni ses idées réelles. Quant à la façon de réagir aux idées nauséabondes, Odieux Connard en parle bien mieux que moi.

Pour ma part, mon but était le suivant :

  1. montrer que l'arme de la censure n'est pas nouvelle
  2. montrer que l'arme de la censure est à double-tranchant
  3. montrer que l'arme de la censure a toujours été inefficace pour combattre des idées, quelles qu'elles soient (sans quoi l'apartheid régnerait encore en Afrique du sud, et la seconde guerre mondiale n'aurait pas eu lieu).
Censurer, c'est une façon d'admettre que l'on a pas d'arguments à opposer à son adversaire et qu'on cherche juste à le faire taire car ses idées vous dérangent. Mais ça n'est pas parce qu'une idée n'est plus évoquée publiquement qu'elle cesse de se propager. Au delà de ça, s'arroger le droit de décider de ce qui peut être dit ou pas est selon moi extrêmement présomptueux.

Pour en revenir à mon introduction, la meilleure réponse à un "pourquoi ?" est rarement un "parce que!", et beaucoup plus souvent un autre "pourquoi ?"...

Edité : correction de quelques fautes et ajout du lien vers l'avis de Maitre Eolas sur la question, que je vous recommande chaudement tant je le trouve pertinent.

4 commentaires:

  1. Dans toute cette histoire, ce qui est fascinant, c'est de voir la réactivité de notre gouvernement alors que sur d'autres sujets sûrement plus graves, rien n'est fait!
    Alors pourquoi ? Ils te diront parce que :-p

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    1. Oui... j'ai lu une tribune de Noël Mamère à ce propos, qui évoquais "l'effet réverbère". A savoir : les médias s'agglutinent là où il y a de la lumière : sous le réverbère. Evidemment, celui qui tient le réverbère ballade les médias là où il veut, ce qui, accessoirement, permet d'occulter d'autres thèmes sur lesquels on ne veut pas que le public se focalise trop.
      J'aime bien ce qualificatif d' "effet réverbère".

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    2. Effet réverbère... pas bête comme principe ! Ceci dit, l'histoire de remanier les régions est un superbe effet réverbère ! Ah pauvres moutons que nous sommes :-p

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